La maison...#2
Petite, je n'étais pas douée pour le dessin. D'ailleurs, ça ne faisait pas partie de mes activités favorites. Mais lorsque je repense à mes dessins, je revois toujours le même, décliné dans toutes les couleurs. Toujours la même maison, un carré pour la maison, un triangle pour le toit. Toujours trois fenêtres à l'étage, avec des rideaux et des petits carreaux. Une porte bien au centre, d'autres fenêtres de chaque côté. Sur le toit en ardoise, une cheminée qui fumait invariablement, même lorsque je dessinais un beau soleil. La logique et la cohérence n'ont jamais été mon fort non plus. De la porte, un chemin qui serpente jusque dans un jardin, avec un pommier et des fleurs, sans doute des tulipes, plus simples à dessiner.
Le décès précoce de mon père ne nous a pas permis d'avoir cette maison, lorsque j'étais enfant, et à laquelle je rêvais déjà. Comme si elle pouvait me servir de racines de substitution, aprés le deuil.
Cette maison, j'en ai rêvé des années et des années. Des années passées à déménager, à refaire les valises à peine défaites .A se faire des amis puis à laisser se distendre les liens par l'éloignement. A ne jamais avoir le sentiment d'être de quelque part mais de partout à la fois. Ce manque de la maison de famille où il est bon de se retrouver. Et mon besoin de me poser quelque part, enfin, de me dire ici, c'est chez moi, toujours mis entre parenthèses. Jusqu'au jour où je n'ai plus pu.
Cette maison, nous allons l'acheter ce soir. Même si elle ne ressemble pas complètement à mes dessins de petite fille, elle a aussi des petits carreaux aux fenêtres, un vieux pommier dans le jardin, et une cheminée qui fume. Lorsque j'en ai passé la porte, j'ai senti que c'était là que j'aimerais enfin poser mes valises, celles qui sont si lourdes à porter, remplies de rêves et de projets qui n'ont jamais pu voir le jour.
Cette maison, je sais que c'est pour moi bien davantage qu'un toit et des murs, que je recherche désespérément quelque chose qui m'attache quelque part, qui me permette de retrouver la stabilité qui m'a souvent fait défaut. J'ai bon espoir, je sais que je suis sur le bon chemin...